« Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé, le courage de changer ce qui peut l’être, et la sagesse de distinguer l’un de l’autre. »
Cette célèbre citation prononcée par l’empereur romain Marc Aurèle incarne l’essence même de mon stage d’ambulance au Guatemala. En tant qu’étudiant ambulancier, je me suis régulièrement retrouvé dans des situations imposant des décisions difficiles et un positionnement délicat. Il s’agissait de trouver l’équilibre entre l’acceptation de ce qui ne m’appartenait pas et la suggestion d’alternatives lorsque les soins fournis dérivaient trop de ce que j’ai l’habitude de prodiguer en Suisse, tout en évitant de souligner trop ouvertement leurs éventuelles lacunes. Une responsabilité complexe à endosser, surtout sans pouvoir s’exprimer autant bien que dans sa langue maternelle. Il est sûr que je n’oublierai jamais certains de ces moments à cause des dilemmes éthiques imposés par le contexte et je ne pourrai jamais savoir avec certitude si j’ai pris les bonnes décisions. Évidemment, il y a eu des urgences compliquées pour lesquelles j’ai dû me résoudre à accepter que le destin de ces patients ne dépendait pas de moi et que leurs méthodes de travail ne laissaient d’autres options que celles avec lesquelles j’étais en désaccord. Sans grand étonnement, de nombreuses interventions m’ont ramené à une question existentielle bien connue : « Mais qu’est-ce que je fous là bordel ? ».


Finalement, j’imagine que l’apprentissage du positionnement professionnel passe aussi par des situations du genre. Cela dit, c’est une expérience qui fait prendre une grande confiance en ses connaissances et compétences et m’a aidé à acquérir une meilleure position de professionnel de santé dans des prises en charge complexes.


Pour continuer sur une note plus légère, je me dois de parler de la nourriture, élément fondamental de ce voyage pour lequel je ne peux que remercier profondément l’équipe qui m’a accueilli. Gâté durant l’intégralité de mon service là-bas, je vais délibérément éviter de me peser en rentrant chez moi. Régulièrement, ils me faisaient découvrir toutes sortes de spécialités locales et, étant donné la quantité de nourriture qu’ils consomment, ils n’ont jamais hésité une seconde à me partager un bout de leurs repas s’il s’agissait d’un plat que je n’avais encore pas goûté. Un accueil chaleureux typique de l’Amérique latine. Finalement, la richesse culturelle première d’un pays se manifeste souvent par ce que l’on retrouve dans l’assiette, et je peux affirmer que ce pays possède une grande richesse culturelle, sans parler évidemment de toute l’histoire maya qu’il recèle.

Concluons cette histoire par la fin. Ma dernière nuit fut calme. Une nuit calme, souvent propice à la réflexion et la nostalgie, offre l’occasion de commencer le bilan de cette expérience extraordinaire. Bercé par le grondement incessant des poids lourds circulant sur la Carretera-9, auquel j’ai fini par m’habituer, je ferme les yeux et revois mes premiers jours ici : mes premiers pas, mes premières interventions, mes premiers dilemmes éthiques, mes premiers repas partagés avec l’équipe, mes premiers traumatismes crâniens sur le plafond de l’ambulance (que j’ai arrêtés de compter à force d’être catapulté de part et d’autre de cette petite ambulance) et bien d’autres souvenirs encore. Je revis toutes ces différences avec le système de santé suisse auxquelles je me suis confronté pendant six semaines : le matériel, les ressources, le personnel, les conditions de travail, les horaires, les hôpitaux débordés, les façons de travailler ou encore la structure médico-légale. Je revois les conditions de vie des familles pour lesquelles nous sommes intervenus, des conditions de pauvreté extrême qui m’auraient paru inimaginables avant de les voir de mes propres yeux. Mes dernières interventions furent malheureusement tristes pour la plupart et, après un ultime service de 48h, je me retrouve maintenant à dire au revoir à mes camarades Bomberos. Difficile de croire que j’ai déjà passé un mois et demi en leur compagnie à sillonner jour et nuit les méandres des bidonvilles pour porter secours à leur population.



Juste avant de partir, nous partageons un dernier moment autour d’un élément qui a toujours uni et qui, je pense, unira probablement toujours n’importe quelle culture : la musique. C’est ainsi qu’une playlist aléatoire diffusera en dernier la célèbre chanson « La Terre est ronde » d’Orelsan. Nous chantons ensemble, une dernière accolade et c’est ainsi qu’en clin d’œil s’achèvent six semaines de stage ici, ce voyage n’étant désormais plus qu’un souvenir.
Je quitte la caserne de Santa Isabel Villa Nueva pour la dernière fois et j’écrirai ces lignes dans l’avion, en pensant qu’au fond, moi aussi, je crois que la Terre est ronde.
Merci d’avoir suivi cette aventure et merci à toutes les personnes qui, de près ou de loin, ont contribué à la réalisation de ce projet.
Léandre Abbaro
Étudiant ambulancier 3ème année
Service de la Protection et de la sécurité de la Ville de Neuchâtel
Centre de formation médicale Medi – Soins ambulanciers, Berne


