Deux semaines se sont écoulées depuis le début de mon stage au Guatemala. Deux semaines intenses, riches en émotions, en prises en charge, en rencontres, en découvertes, en apprentissages et bien d’autres encore, mais commençons par le commencement.
J’ai toujours été convaincu, après de nombreux voyages à travers le monde, qu’on ne peut véritablement connaître un pays qu’en allant au cœur même de sa population et de sa culture. Quel meilleur moyen pour cela que de travailler en ambulance et d’intervenir dans les entrailles du pays, au sein même des bidonvilles ?
Bienvenue à Villa Nueva
Le premier jour, 1h30 de route m’attendent pour rejoindre la caserne des Bomberos & Paramédicos Santa Isabel Villa Nueva. Je suis nerveux car j’ai entendu de nombreux récits; et désormais, l’échéance étant imminente, je vais plonger au cœur de ces histoires et vivre ma propre aventure avec cette équipe dont la réputation n’est plus à faire. Dès l’instant où l’on entre dans la caserne, on se sent chez soi malgré les conditions précaires de leurs locaux, grâce à une équipe incroyablement accueillante. L’inconnu est tout de même au rendez-vous, ainsi je ne peux imaginer ce que je vais vivre, découvrir et expérimenter. Je dois donc me laisser porter par les événements et advienne que pourra !

Nous remercions les Bomberos y Paramedicos de Santa Isabel à Villa Nueva pour leur accueil toujours chaleureux !
À ma grande surprise, mon premier patient se présenta pour une raison totalement inattendue. On m’avait parlé de céphalées, de douleurs abdominales, de blessures par armes blanches et armes à feu, de monstrueux accidents de la route, d’hyperglycémies, d’ACR, d’AVC, de bilan de grossesse et encore d’autres situations que l’on rencontre rarement en Suisse. Bien sûr, je serai confronté à ces interventions durant les semaines à venir, mais en attendant, une heure après mon arrivée, un des bomberos entra avec le premier patient : Esponkey, un adorable chiot, abandonné dans un sac poubelle. Un rappel brutal de la cruauté dont le monde est capable de faire preuve. Heureusement, ce petit bout d’innocence trouvera une famille quelques jours plus tard, adopté par les parents d’une bombero.

La confrontation à la réalité locale
Par la suite, mes premiers jours furent consacrés à l’intégration dans leur équipe, à la découverte du matériel disponible (rangé de manière plutôt anarchique dans trois énormes sacs) ainsi qu’à la découverte de leurs conditions de travail difficiles fondées sur des horaires de 48 heures de travail suivies de 48 heures de congé pour la misérable somme d’environ 500$ par mois. Enfin, je découvris leur caserne qui a tout à envier à nos casernes neuchâteloises, à commencer par des portes pour atténuer le bruit de la route départementale située juste à côté, empruntée par 70’000 véhicules par jour et accessoirement un toit autre que cette immense plaque de tôle qui augmente facilement la température ambiante de 30 à 40 degrés. Néanmoins, persiste une qualité qu’il faut leur reconnaître et dont nous pourrions (devrions) parfois nous inspirer: ils gardent toujours le sourire et ne se plaignent jamais !



Mes premiers pas dans cet environnement furent régulièrement interrompus par les interventions préhospitalières et les consultations à la clinique de la caserne. Des interventions nécessitant une importante adaptation pour trouver les mots rassurants dans une langue étrangère tout en prodiguant des soins avec des moyens limités. En effet, le système « D » est emblématique de leur manière de travailler. S’adapter ici signifie également apprendre à supporter les cris d’une mère pensant voir son bébé d’un mois mourir dans ses bras, traiter des pathologies abdominales et respiratoires à domicile car les hôpitaux sont saturés ou voir l’avenir d’une fillette de 12 ans s’éteindre lorsque son petit frère lui plante un ciseau dans la tête. C’est aussi accompagner des personnes angoissées avec des regards et des sourires quand la barrière de la langue nous fait défaut, entendre les pleurs déchirants d’une famille brisée lorsqu’un de leurs membres est abattu de six balles en pleine tête, intervenir sur des feux de forêts à défaut de venir en aide à une personne souffrant de douleurs thoraciques, ou encore écouter un homme âgé souffrant d’un trouble du rythme majeur faire ses adieux à son frère durant le trajet jusqu’à l’hôpital car les soins ne sont de loin pas autant efficaces que ceux que nous pouvons fournir en Suisse. Secoués sans répit dans l’ambulance lancée à pleine vitesse sur les routes désastreuses des bidonvilles, nous devons en finalité limiter nos traitements la plupart du temps, faute de matériel et de connaissances suffisantes.
Que dire ? Le contexte de travail impose un réalisme et une prise de conscience auxquels nous ne sommes pas habitués.

« On ne peut véritablement connaître un pays qu’en allant au cœur même de sa population et de sa culture. »
Le plus difficile est de savoir que pour tous ces patients, leurs devenirs auraient sans doute été meilleurs dans nos infrastructures, mais tout le monde ne naît pas sous la même étoile. Quel paradoxe de vivre dans le même monde et pourtant dans des réalités si différentes. Néanmoins, c’est une expérience inoubliable et enrichissante de travailler au-delà des frontières que je me réjouis de partager avec vous ces prochaines semaines.
Léandre Abbaro
Étudiant ambulancier 3ème année
Service de la Protection et de la Sécurité de la Ville de Neuchâtel
Centre de formation médicale Medi – Soins ambulanciers, Berne
