Et voilà, déjà le dernier opus de la saga « Seguin et Augustin à Beyrouth ».
Comme promis dans notre deuxième article, nous allons aborder les sujets suivants : hygiène et sécurité, difficultés d’atteindre et de localiser le lieux d’intervention, particularités hospitalières et débriefings post-interventions.
Afin de respecter une certaine chronologie, ces sujets vont être intégrés dans le récit d’une prise en charge type : celle de l’arrêt cardio-respiratoire (ACR). Nous avons choisi cette urgence, car nous l’avons tous deux vécue et il s’agit d’une prise en charge particulière. Nous précisons que tous les éléments cités sont véridiques mais nous mixerons nos interventions respectives afin d’aborder un plus large spectre de sujets …
L’alarme retentit. L’excitation et l’engouement des bénévoles se font ressentir. Nous nous dirigeons alors tous avec précipitation vers l’ambulance et ce, sans connaître le motif d’engagement. Celui-ci nous est toujours communiqué quelques minutes après le départ. Il s’agit d’un patient en ACR. Alecco, ambulancier aguerri, nous conduit à toute allure dans Beyrouth en feux bleus – sirènes.

Concernant la conduite en urgence, il faut savoir qu’elle est bien plus dangereuse au Liban qu’en Suisse. En effet, le code de la route (feux rouges, doubles lignes, dépassements par la droite, priorités, etc.) ainsi que les règles de sécurité (port du casque, de la ceinture, etc.) ne sont absolument pas respectés au Liban, de plus le trafic est extrêmement dense. Tout ceci complexifie l’accès au site d’intervention. Légalement, Alecco a le droit de griller un feu rouge, or la politique de la Croix Rouge Libanaise propose de ne pas prendre ce genre de risques, le jeu n’en vaudrait pas la chandelle. Un autre exemple : l’ambulancier n’a pas le droit d’emprunter un sens interdit, la solution est donc de les prendre en marche arrière … ce qui est paradoxalement accepté.
Après avoir franchi ce premier obstacle, reste à dénicher le lieu exact. Et croyez-nous, il ne s’agit là pas d’une mince affaire. Beyrouth, et le Liban en général, ne possède pas d’adresse précise. C’est alors un vrai challenge de trouver le patient. Les informations données par la centrale d’appel ressemblent souvent à ceci : « Tu vois la route après l’arbre ? Bah c’est pas là, c’est la suivante à gauche, en face des poubelles jaunes. Après t’auras un immeuble avec des stores rouges, c’est en face. ». En bref, il est indispensable pour le chef de mission et l’ambulancier de connaître parfaitement leur secteur. Dans le pire des cas, la centrale d’appel peut mettre l’équipe préhospitalière et l’appelant en conférence téléphonique afin d’améliorer la précision des informations.
Pendant le trajet, Likha, cheffe de mission, préétablit déjà les rôles de chacun. Une personne pour la ventilation, une pour le massage cardiaque et une pour la pose des patches de défibrillation. Les ordres sont clairs et univoques ! Nous nous équipons également d’une double paire de gants et d’un masque de protection. Il s’agit là de l’équipement standard pour toutes les prises en charge. En effet, toute l’équipe porte deux paires de gants, la première paire pour toucher le patient sur site, paire qui sera retirée une fois dans l’ambulance afin d’éviter de contaminer le matériel de l’ambulance avec les germes retrouvés chez le patient. Le masque de protection, lui aussi, est obligatoire pour toutes les interventions, traumatiques ou médicales, en rue ou à domicile.
Nous voilà arrivés. L’intervention a lieu en rue et une horde de curieux entoure le patient. Nous faisons de la place et commençons la prise en charge. La victime n’a effectivement pas de pouls, nous reprenons alors la réanimation cardio-pulmonaire (RCP) qu’un badaud avait déjà commencé. Tout le monde sait ce qu’il a à faire et la RCP se déroule bien. La police municipale est enfin sur site … en bons Suisses que nous sommes, nous pensions que cette dernière nous aiderait … erreur. Ils ont effectivement demandé aux badauds de nous laisser un peu d’espace pour travailler, mais nous fûmes surpris de réaliser que c’était en fait pour nous photographier, nous filmer, et même se photographier à côté de la victime avec un grand sourire. Likha tente de les éloigner mais ceux-ci abusent de leur autorité et nous répondent que ces photographies sont à but professionnel. Bref …
La prise en charge de l’ACR est particulière. L’algorithme est le suivant : ils doivent faire trois analyses du rythme sur site à l’aide de leur défibrillateur semi-automatique (DSA). Si après la troisième analyse, le choc n’est toujours pas conseillé, ils doivent procéder à la relève. En effet, aucun patient en ACR ne peut être laissé à domicile, excepté s’il présente des signes de mort évidente (lividité et/ou rigidité cadavériques par exemple). L’absence d’un médecin d’urgence justifie le transport systématique, personne n’est habilité à certifier un décès. La relève se déroule alors de la manière suivante : le chef de mission, Likha en l’occurrence, compte à voix haute jusqu’à 90. Nous avons dès lors, 90 secondes pour amener le patient jusqu’à l’ambulance sans réaliser de massage cardiaque. S’il faut plus de 90 secondes pour atteindre l’ambulance, nous reposons le patient au sol et refaisons un cycle de RCP de deux minutes, puis on réitère la manœuvre.
Une fois le patient dans l’ambulance, la RCP peut continuer. Le chef de mission se met à la tête du patient pour effectuer les insufflations, l’éclaireur effectue le massage cardiaque debout depuis la gauche du patient et le bleu s’attelle à ceinturer avec ses bras l’éclaireur pendant le trajet afin de le sécuriser un minimum.

Nous arrivons à l’hôpital, non pas celui avec le plateau technique le plus adapté mais l’hôpital le plus proche. La législation libanaise oblige les équipes préhospitalières à transporter les patients dans l’hôpital le plus proche. Le problème avec ce système, c’est que le personnel soignant n’est pas habitué à recevoir des patients en ACR avec une RCP en cours … Se retrouvent alors une quinzaine de personnes dans la salle de déchocage, une personne masse, une personne pose l’intraveineuse et les autres regardent. Après environ cinq minutes, le médecin leader réalise que le patient n’est toujours pas ventilé, ni intubé …
Likha et ses camarades nous expliquent que ces cas sont assez rares dans certains hôpitaux. Les internes et les curieux profitent alors de venir observer la scène. Des réanimations acharnées ont souvent lieu afin de permettre aux nouveaux infirmiers et médecins d’exercer les gestes tels que le massage cardiaque ou l’intubation par exemple. Nous avouons avoir été choqués par cette prise en charge hospitalière, bien différente de la nôtre.
Notre travail terminé, nous procédons à la désinfection rigoureuse du matériel utilisé. Puis, nous remontons à bord du véhicule et effectuons l’incontournable « éva » (ou débriefing). Il s’agit là d’un rituel ! Après chaque intervention, nous revenons sur les plus petits détails de celle-ci afin de savoir ce qui aurait pu améliorer la qualité et l’efficacité de la prise en charge. Ces « éva » durent passablement longtemps : souvent entre 15 et 25 minutes, car toute l’équipe prend la parole chacun son tour. C’est donc à ce moment-là que notre avis est demandé. Parfois, nous apportons quelques explications physiopathologiques et conseils techniques, mais la plupart du temps, nous baragouinons simplement « Aafye » (en arabe : عافية), ce qui signifie « merci » et sous-entend : « je n’ai rien à ajouter », comme déjà dit, les prises en charge sont de qualité. Lorsque tout le monde s’est exprimé, nous retournons en centrale et attendons la prochaine urgence.
Voilà, en quelques points la prise en charge type d’un arrêt cardio-respiratoire au Liban. Évidemment, nous n’avons fait que survoler les urgences rencontrées à la CRL, il y aurait encore des dizaines de sujets à aborder mais faute de temps, nous avons dû en sélectionner quelques-uns.
Nous arrivons à la fin de cette aventure unique. Nous avons tant appris aux côtés de ces volontaires passionnés et motivés ! C’est avec le cœur lourd que nous disons au revoir à nos amis libanais mais c’est avec fierté que nous raconterons l’exemplarité de leurs prises en charge.
Reste pour nous à remercier infiniment ceux qui ont permis la réalisation et la concrétisation de ce voyage. Premièrement, Florian Ozainne, qui a su éveiller en nous la curiosité et l’envie de découvrir le milieu préhospitalier libanais.
Ensuite, l’association « Ambulanciers – ères en terres d’ailleurs », qui nous a soutenus et encouragés dans nos démarches et nous a permis de publier ces articles afin de vous partager quelques éléments de notre aventure.
Nous remercions également Diana, notre contact à la CRL, qui a tout organisé depuis Beyrouth et qui a montré une extrême disponibilité lors de nos interminables échanges de mails.
Et enfin, un immense « choukran » à tous les volontaires de la centrale de Gemmayzeh pour leur accueil exceptionnel et leur incomparable hospitalité ! Des gens en or qui ont marqué notre mémoire !





Merci à cette belle équipe de fous furieux ! Merci pour tous ces moments de rires et de partages.
Quentin et Aurélien AKA Seguin et Augustin
